« Comment va-t-elle ? » Mon souffle est court, j'appréhende la réponse qui, je le sais, à peu de chance d'être bonne. L'infirmière baisse la tête, comme toujours lorsqu'elle me parle, je crois simplement que mon regard est si dur et glacial qu'elle n'ose pas l'affronter. Je lui en veux, sans cesse, certes ce n'est pas de sa faute mais elle est toujours porteuse de nouvelles pires encore que celles de la veille. « Mademoiselle Harshaw, je crains que nous ne puissions plus rien faire. Nous avons déjà pris en considération l'idée d'arrêter le traitement et de se cantonner à des soins palliatifs. Je suis désolée. » Les médecins. Ces charlatans, ils brisent vos espoirs à coup de compassion mal placée, comme s'il pouvait aider les gens à supporter la douleur qui les attendaient. Je jette un oeil dans la chambre d'hôpital, ma soeur, ma pauvre petite soeur, si livide, si stoïque, les yeux dans le vide, embués de larmes. Ca me tue. J'avais toujours eu pitié des gens qui disaient vouloir prendre la place des morts, des malades. Ils étaient fous. Je crois bien que je suis devenue folle, moi aussi. De douleur et de rage. « Allez-vous faire voir. » Mes paroles sont aussitôt dites, aussitôt regrettées. Pourtant, je ne m'excuserais pas, elle ne le mérite pas. Je m'écarte pressement et m'engouffre dans la chambre, elle sent le vieux parfum d'Ellana, celui que je déteste, pourtant, je rêve de le sentir encore des millions d'années, juste pour me dire qu'elle est encore là. Son sourire pâle écorche ses lèvres gercées. « Maman et papa sont encore à la maison en train de se disputer ? » Je hoche la tête. Pourquoi lui mentir ? Elle a beau n'avoir que douze ans, avoir quatre ans de moins que moi, elle n'est pas stupide pour autant. J'attrape sa main, avec une douceur fébrile qui retranscrit avec brio la peur constante qui me tiraille. « Ils sont stupides, ils ne voient pas que leurs histoires n'ont aucune importance. » A nouveau, elle esquisse un sourire et malgré son teint cadavérique, rien n'est plus beau que son visage. On ne se rend compte de l'importance des gens que lorsqu'on s'apprête à les perdre. Foutu existence. « Je suis prête, tu sais Assya. » L'appellation te fait sourire, personne, sauf elle, ne t'appelle Assya. Pourtant, sa phrase me glace l'échine, je tente de rester impassible mais son regard affolé sur sa main que je sers un peu trop fort me prouve que j'ai raté le coche. « Soit pas si crispé Assya. La vérité, c'est que j'ai trop mal pour vouloir continuer. Je sais que c'est horrible ... tu veux bien que je m'en aille, dit ? Même si c'est dur, dis-moi que tu l'acceptes, pour que j'arrête de souffrir, juste un peu ? » Je ne les ai pas senties, elles coulent pourtant, les larmes noient mon visage, signe de mon silence qui me ronge. Mes doigts jouent avec sa main, sa peau légèrement desséché à des allures étranges sous mes doigts parfaitement hydratés. Je réprime un hoquet de tristesse et affiche à nouveau ce sourire presque impassible. « Si c'est ce que tu veux Ellana. » Je ne suis pas égoïste. J'accepte son départ, tout du monde je le prétends. Je souris face à la mort qui tend les bras à ma soeur, jusqu'au bout, je la rassure, comme pour lui montrer que, peu importe son choix, je serais toujours là pour elle. Tant pis si, au bout du compte, c'est moi qui fini le plus meurtrie. Deux semaines plus tard, Ellana Hershaw était enterré. Un mois après, les parents se séparaient. Le bonheur avait décidé de prendre des vacances et moi j'avais décidé de prendre mon envol.

« T'as l'air paumée. » Il a une voix grave qui, dans la nuit fraîche de Londres, me donne des frissons dans le dos, je me retourne. Il a ce genre de visage, qui s'imprègne dans vos esprits, une mâchoire carré, il n'est pas forcément grand, ni baraqué, mais il en impose. Sans doute son visage, son air distant, froid, imperturbable. Mes yeux se balancent de gauches à droites et un sourire s'étale sur mes lèvres. « Sans doute parce que je le suis. » Il hoche la tête et semble prêt à s'éloigner, comme si mes paroles n'avaient pas été entendus et qu'il rentrait chez lui sans même me savoir derrière lui, paumée dans la nuit Londonienne. « Vous ne pourriez pas m'aider ? » Appel désespéré d'une femme qui a perdu toute sa contenance. Je suis une ombre qui se reconstruit lentement, poursuivis par le fantôme d'une soeur qui m'a laissé tomber. J'ai fui comme une lâche l'existence qui me rappelait sa présence, pourtant, elle continue de me suivre. « C'est quoi ton nom ? » Comme si ça pouvait l'intéresser. J'entrevois pourtant l'espoir de ne pas passer ma nuit sur le bord d'un trottoir humide. Alors je réponds, comme si c'était la réponse la plus évidente, comme si Ellana soufflait à mon oreille que c'était la seule réponse, la seule vérité : « Assya. » Son infime sourire est illuminé par le lampadaire à côté de lui. Il serait presque beau.

Soupire presque extatique naissant des espoirs ravivés par l'apparition de l'ange à mes yeux meurtris. Mon coeur lentement se raccommode, loin d'avoir pansé toutes les blessures, je me sens toutefois bien moins dévasté qu'à l'accoutumé, plus légère. Il suffit donc de sa ? La vision de son sourire joyeux, de son visage si familier, de ses cheveux coupé si court, la sensation de sa peau si douce et l'odeur que je lui connais tant ? Mais je ne peux pas m'en empêcher, comme pour me protéger, je deviens acerbe devant son visage qui m'a tant séduit. « Assya ? Il fixe mon reflet dans le miroir, sans se retourner, n'offrant à ses yeux que la vue direct de mon dos à demi-dénudé. Je remarque que ces joues sont légèrement creusées et son regard semble plus terne que la dernière fois que je l'ai vu. Sans doute l'effet de la vie décadente qu'il mène, qu'il a refusé de quitter. Même pour moi. Surtout pas pour moi. Et je continue d'y croire à cet amour illusoire, qui à chaque fois me brise de la même façon. Mais je recolle les morceaux, tombe encore amoureuse et le cercle n'en finit jamais. « Pourquoi t'es là ? » La phrase claque dans le silence que j'ai imposé, ma voix est acide, un poison qui, j'ose l'espérer, lui fera un peu de mal. Suis-je cruelle ? Il feint pourtant l'ignorance, comme si ma froideur ne transperçait en rien dans ma façon de m'adresser à lui. « Pour toi. » Le palpitant s'excite dans ma poitrine. Je suis niaise. Un brin pitoyable aussi. Je m'extasie devant a parole d'un homme qui n'en a aucune. Un ex-taulard, qui fout sa vie en l'air, m'entraînant dans son sillage, comme tant d'autres. Pourtant, je crois fermement pouvoir le sauver, comme les autres, comme toujours. « Tu es venu pour rien. » Les mots m'arrachent les lèvres, le mensonge est une chose que je ne maîtrise pas, pourtant, je sais que, dans le fond, si je m'abandonne à nouveau pour lui, il en sera fini de moi. Il fronce le nez, comme lorsqu'il est contrarié, il a une beauté sauvage dans ces moments, qui m'hypnotise presque. « Je vois. » Il n'est pas du genre à ramper à tes pieds, ni prier pour que tu lui reviennes. Il s'en va. La blanche colombe s’enveloppe de tristesse, ternis par la sombre existence qu’elle mène. Elle vire et chavire. Silencieuse, elle s’enflamme de douleur.

« Des filles comme toi dans un endroit avec des gens comme ça ? ... c'est vraiment rare. » Je hausse une épaule, j'esquisse un sourire. Il a souvent du monde ici, beaucoup trop sans doute. La preuve irréfutable que tout le monde, dans ce bas monde, s'évertuent à commettre des erreurs. « Des gens comme ça ? Je ne suis pas sûr de comprendre. » Toujours polie. Toujours sereine. Amicale. Il sourit, un côté de sa bouche se lève plus que l'autre lorsqu'il dévoile une rangée de dent blanche, ça lui donne un air séduisant. « Faut être lucide, au mieux tu trouveras des délinquants potentiels prêt à ruiner leurs vies, au pires, des ex-taulards qui l'ont déjà gâchées. » Mon stylo parcours les feuilles que je tiens devant moi, dessinant à l'aveuglette des formes et contours que je sais réussi. J'ai toujours eu le don du dessin. Moins qu'Ellana, toutefois. « Je pense qu'on peut toujours rendre sa vie meilleure. » Son rire est franc cette fois-ci, il se moque de moi, sans me vexer, ce serait presque gentil. Il semble s'affaler davantage sur la chaise, comme s'il tentait d'en trouver le point le plus profond. J'ai toujours détesté ceux qui s'asseyaient de cette façon. « Et elle est utopiste en plus. » Ses paroles suintent d'ironie, comme si c'était quelque chose d'adhérant de croire en l'Homme et à l'aspect de ''la vie meilleure''. J'arque un sourcil, un infime sourire au coin des lèvres. « Mieux vaut être une utopiste qu'un pessimiste né. » Il rit encore, je dois avoir le don pour ça, ici, la plupart se moque de ma façon de voir les choses. C'est eux qui sont à plaindre dans le fond, des désillusionnés qui sont persuadés de ne pas pouvoir remonter la pente après les erreurs commises. Il lance un ultime regard en biais et se lève. « A une prochaine fois l'utopiste. » Je le sens, le cercle vicieux, il reprend son cours, j'ai déjà les idées peu claires. Inlassablement, je reproduis le même schéma chaotique, sans trop savoir ce que j'attends de tout ça.

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